Pardonnez l'impardonnable !

Introduction

De retour d’un séjour en Côte d’Ivoire, j’ai pu rencontrer de nombreuses Eglises et discuter avec des fidèles et leurs pasteurs. Les régions où j’ai été ont subi fortement les 10 années de conflits que le pays a traversé. La guerre et ses violences laissent de nombreuses traces dans la vie de ceux qui ont survécu et qui doivent envisager l’avenir dans la coexistence avec ceux qui les ont fait souffrir. Le défi pour la société ivoirienne et particulièrement pour les Eglises est de bâtir une société réconciliée.

Certaines situations place l’Eglise dans l’obligation de repenser le pardon et la réconciliation.

Quelques éléments de l’enseignement biblique

Jésus dans le sermon sur la montagne nous montre combien il est important de pardonner ceux qui nous offensent. Si nous ne leur pardonnons pas, Jésus déclare solennellement que Dieu ne nous pardonnera pas.

En effet, si vous pardonnez aux autres le mal qu'ils vous ont fait, votre Père qui est au ciel vous pardonnera aussi. Mais si vous ne pardonnez pas aux autres, votre Père ne vous pardonnera pas non plus le mal que vous avez fait. 

Matthieu 6.14-15

L’Ancien Testament tient sur la rétribution un double discours : d’un côté Yahveh « ne laisse rien impuni ». Il châtie la faute des pères sur les enfants et les petits enfants, mais de l’autre, sa miséricorde pardonne le pécheur qui s’accuse et se repent, alors il restaure son alliance et redonne vie et paix.

Que signifie pardonner quelqu’un ? 

Voyons ce que les écritures disent à ce propos.

Jésus compare le pardon à une annulation de dette, cf Matthieu 18.23-35. 

Si quelqu’un vous doit de l’argent et que vous lui effaciez cette dette, il ne sera plus votre débiteur. Si vous détruisez l’écrit qui porte le montant de la dette qu’il vous doit, ça montre que vous n’espérez plus rien de votre débiteur, vous n’avez plus le droit de lui demander quoi que ce soit, et vous ne devrez plus vous inquiéter ou vous fâcher contre lui. Votre débiteur ne vous doit plus rien, et votre relation envers lui devient parfaitement restaurée comme si de rien n’était.

Pour bien comprendre ce que signifie le mot pardonner, méditons sur le pardon de Dieu à notre égard. Lorsque Dieu pardonne un péché, Il blanchit le coupable, Il n’est plus fâché contre lui, et oublie le tort qu’a causé l’offense. Il ne punit ni ne réprimande plus le repentant à cause de son offense, et se réconcilie avec lui.

De même, si je pardonne réellement quelqu’un, je le libère de mon cœur, et surmonte le désir de justice et de vengeance par la miséricorde. Je ne suis plus fâché contre lui. Et enfin nous passons à l’étape suivante qui est la réconciliation. 

Démarche de confrontation dans Matthieu 18.15-17. 

La confrontation a pour but de nous amener au pardon entre chrétien. Le pardon est conditionné par la repentance du pécheur. Ainsi, (1) nous confrontons le fautif dans l’espoir qu’il (2) se repentira et sera (3) pardonné.

La position de Jésus sur le pardon est brièvement décrite Ses paroles rapportées dans le livre de Luc 17 :3-4 :

Prenez garde à vous même. Si ton frère a péché, reprends-le ; et, s’il se repent, pardonne-lui. Et s’il a péché contre toi sept fois dans un jour, et que sept fois il revienne à toi, disant : « Je me repens », tu lui pardonneras (italiques de l’auteur).


Dieu Est Notre Modèle

Nous savons que Dieu aime les pécheurs et étend Sa miséricorde et offre à leur pardonner. 

Nous savons également qu’Il retient Sa colère et leur donne du temps pour se repentir. 

Le Seigneur ne tarde pas à réaliser sa promesse, comme certains le pensent. Mais il use de patience envers vous, car il ne veut pas que qui que ce soit aille à sa perte ; au contraire, il veut que tous aient l'occasion de se détourner du mal.

2 Pierre 3.9

Mais pour qu’ils soient effectivement pardonnés, est-ce que tout dépend absolument d’eux mêmes ? 

Dieu ne pardonne un pécheur que lorsqu’il se repent ? 

Ou le pécheur se repent-il parce que Dieu lui a pardonné ?

C’est l’enjeu théologique des débats sur la prédestination. Dans Romains 8.30, le processus de la grâce est décrit et la justification (pardon) en est une étape.

Ceux pour qui Dieu a pris d'avance cette décision, il les a aussi appelés ; ceux qu'il a appelés, il les a aussi rendus justes devant lui, ceux qu'il a rendus justes, il leur a aussi donné part à sa gloire.

Réflexion contemporaine sur le pardon

Selon J. Derrida, si l’on suit la tradition chrétienne, on trouve deux postulations qui semblent se contredire. 

D’une part, on ne peut pardonner que si le coupable avoue, demande pardon, se repent et donc se change, s’engage dans une autre voie, promet d’être un autre. Mais alors celui qui s’expose ainsi est déjà dans une certaine mesure un autre, et meilleur que le coupable. On ne pardonne donc pas le coupable en tant que tel. 

D’un autre côté, le pardon s’accorde comme une grâce absolue, inconditionnée, sans échange ni contre-don attendus, sans repentir ni demande de pardon. Il est alors accordé au coupable en tant que coupable. 

C’est le pardon dans sa pureté. Si l’on pardonne seulement en vue d’une réconciliation, au nom d’un travail du deuil ou d’un coupable amendable, le pardon n’est pas pur. 

La force du pardon, sa folie, son pouvoir de rupture des mauvais enchaînements, c’est de pardonner l’impardonnable.

Ce pardon hyperbolique est si l’on veut impossible. Ce qui est possible, et Derrida le sait très bien, c’est le pardon conditionnel. Mais pourtant le pardon impossible éclaire le pardon possible, le pardon fou est à l’horizon du pardon raisonnable. 

Dans tout pardon conditionnel, il y a une rupture dans l’ordre des conséquences, une avancée à l’aveugle, une ouverture à l’événement, un pari risqué qui est comme la menue monnaie ou l’ombre du pardon inconditionnel.

Le risque du pardon

Le pardon est un problème sérieux car il semble impliquer que les coupables ne sont pas punis. 

Ceux-ci peuvent avoir agi sciemment et ne pas le regretter. Ils risquent de recommencer et ne pas être punis. Il ne semble pas exister de motivation pour que la personne blessée s’engage dans la voie du pardon. Mais, bien que pardonner ne soit pas facile, c’est nécessaire pour le bien de la personne blessée. 

Les gens blessés qui ne pardonnent pas, continuent souvent de souffrir de stress et de blessures émotionnelles car ils conservent en eux de la colère et de l’amertume.

On ne comprend pas toujours le pardon. Il s’agit d’un choix, celui de se libérer de la peine et du ressentiment. Cela ne veut pas dire :

que nous excusons ou approuvons l’offense
que l’offense est oubliée ou qu’elle n’a pas d’importance
que l’offense n’a pas de conséquences
que la personne blessée ou sa douleur, n’a pas d’importance. 

La réconciliation

La réconciliation est un processus qui vient après et va au-delà du pardon. Les gens y arrivent lorsqu’après avoir été en conflit, ils reprennent mutuellement des relations positives. La réconciliation demande généralement un conseiller ou un médiateur expérimenté, en qui on a confiance et qui peut discuter avec tous les partis impliqués dans le conflit. 

La réconciliation n’est pas seulement un événement. Elle doit devenir une valeur et un style de vie que l’on transmet d’une génération à l’autre, par l’étude de la Bible, lors de discussions, dans la discipline et par la manière dont l’on vit. 

Le pardon et la réconciliation font partie intégrante d’un chemin que peu de gens empruntent mais qui mène à la liberté, la santé et la paix.

En Ouganda, nombre d’enfants, de jeunes et d’adultes ont été enlevés et enrôlés de force dans The Lord’s Resistance Army. Même s’ils arrivent à s’échapper et à rejoindre leur communauté, ils doivent faire face au défi à long terme de pardon et de réconciliation. Voici comment une jeune femme décrit son chemin pour pardonner à l’homme qui l’avait enlevée.

« Je t’ai haï pour le mal que tu m’avais causé.
Mais partout où j’allais, ton souvenir me poursuivait.

J’étais coincée car je te haïssais et pourtant je devais constamment vivre avec ta mémoire à l’esprit.

La conseillère m’a aidée à réaliser que je détestais être coincée avec toi. Cela a été le début de ma motivation pour te pardonner.
Te haïr me rendait malade et je désirais tant être bien.
Alors, j’ai convenu avec la conseillère qu’elle m’aide à me débarrasser de ma haine. »

http://tilz.tearfund.org/Francais/Pas+à+Pas+61-70/Pas+à+Pas+68/Pardon+et+réconciliation.htm

Exemple de récit d’un processus de pardon et réconciliation

http://www2.wcc-coe.org/pressreleasesfr.nsf/index/Feat-05-04.html

La réconciliation est-elle possible? 

Que signifie pardonner, et comment y parvenir quand le tort commis est affreux et que la douleur paraît insurmontable? 

Ceci est une histoire choquante et horrible, mais aussi une histoire incroyable. C’est l’histoire d’un traumatisme et d’une violence extrêmes. C’est l’histoire d’un viol.

C’est l’histoire d’une jeune Taiwanaise qui a été violée et assassinée – l’un des ces événements inexplicables qui vous émeuvent viscéralement et qui laissent une marque indélébile chez les parents et les amis, de ces événements qui réclament une justice telle que même la loi ne peut l’offrir.

La mère était complètement accablée et, au fil des mois, sa douleur ne faisait que croître. Elle finit par apprendre que l’assassin et violeur avait été retrouvé, arrêté, jugé et condamné à mort. Le crime avait été résolu et toute la procédure s’était déroulée sans que la mère éplorée y eût participé. 

Elle éprouva impérativement le besoin de voir en face l’assassin de sa fille et, par l’intermédiaire d’une organisation appelée Prison Fellowship (PF) Asia, elle rencontra les autorités de la prison où il attendait la mort. Ce ne fut pas facile. Les autorités craignaient qu’elle ne voulût se venger dans cette situation explosive mais, finalement, elles acceptèrent que la rencontre ait lieu – derrière des barreaux.

L’ambiance était très lourde. La mère ne cessait de parler à l’assassin des nuits sans sommeil qu’elle avait passées, de ses sentiments blessés et de la douleur insupportable qu’elle ressentait depuis que sa fille avait été violée et brutalement assassinée. 

Elle voulait à tout prix comprendre : « Pourquoi as-tu fait cela ? Comment as-tu pu faire cela ? ” Elle voulait des détails précis et concrets. Mais rien : le condamné refusait de parler, ses yeux étaient vides, il ne desserrait pas les lèvres.

Il y eut plusieurs rencontres de ce genre, chaque fois en présence d’un représentant de PF Taiwan, une organisation chrétienne dépendant de l’organisation New Start Ministries, basée à Singapour. 

Il se passait quelque chose : pourquoi cette mère insistait-elle pour revoir cet homme alors qu’elle était quasiment déchirée par son apparence froide et indifférente ? Il semblait si distant, toujours protégé par des barreaux. Qui saura vraiment pourquoi elle continuait à venir à la prison ? 

Pour PF Taiwan, ces visites devaient amener l’assassin au repentir et à la confession.

Un jour, alors qu’elle se tenait de l’autre côté des barreaux, elle vit des larmes. Puis l’assassin commença à parler, exprimant regret et remord. Cela ne fit qu’accroître les tourments de la mère, jusqu’au moment où les enseignements de son Eglise l’amenèrent à accepter ce repentir et où, femme de foi, elle sut qu’elle devait offrir son pardon. L’assassin était jeune, c’était un orphelin qui avait été élevé dans différents foyers, sans parents pour l’aimer et s’occuper de lui.

Bientôt, lors de leurs rencontres, ils ne furent plus séparés par des barreaux. Elle finit par lui proposer – et elle réussit à en convaincre les autorités – de l’adopter, de faire son fils de celui qui avait violé et assassiné sa fille. Il accepta, et elle tendit les bras à son nouveau fils. Ils restèrent longtemps dans les bras l’un de l’autre et, au dire des témoins, ils pleurèrent pendant plusieurs minutes. Elle venait fidèlement le visiter chaque jour, lui apportant de la nourriture qu’elle avait elle-même préparée, des vêtements et des objets personnels. 

Ce fut une réconciliation authentique. Le lendemain de sa dernière visite, il fut pendu, conformément aux lois de Taiwan.


Conclusion

Le pardon est un don qui délie d’une faute passée, un acte judiciaire. Il participe d’une éthique tournée vers l’avenir. Il libère le futur de la lourdeur du passé. Là où la vengeance et la rétribution enferment dans le passé, le pardon laisse la vie rebondir. 

Il suspend l’esprit de conséquence aussi bien pour le «pardonneur» que pour le pardonné. Il ne se borne pas à ré-agir, il agit de façon nouvelle et inattendue.

Le don dans le pardon a l’espoir de susciter un contre-don : la modification de l’autre hostile, le retour ou le développement de bonnes dispositions, la transformation de l’ennemi en ami.


Se refuser au pardon est un arrêt de mort, c’est en rester à la loi. C’est s’arrêter sur son juste droit de justice.

S’adonner au pardon est un sursaut dans la vie, de résurrection. C’est vivre de la grâce.